La dermatite atopique canine est une affection multifactorielle résultant d'un défaut de barrière cutanée et d'une réaction anormale "en excès" vis à vis des allergènes présents dans l’environnement. Le nombre de chiens allergiques sensibilisés aux pollens de graminées a presque doublé en 10 ans. Quelle est la place de la désensibilisation allergique dans le traitement de la dermatite atopique canine ?
Pathogénie schématique de la dermatite atopique canine :
Qu'est-ce que la désensibilisation ?
La gestion de la dermatite atopique canine est délicate et tient compte de sa pathogénie multifactorielle. La désensibilisation allergique s'intègre dans ce cadre; elle vise de façon assez schématique à progressivement amener le système immunitaire à tolérer des doses croissantes d'allergènes auxquels il est sensibilisé. C'est la seule thérapeutique spécifique de l'allergie, puisqu'elle interagit directement avec le mécanisme de l'allergie en permettant "d'éduquer" le système immunitaire à la tolérance.
Quand envisager de réaliser une désensibilisation allergique ?
La désensibilisation allergique doit être conduite sur des animaux pour lesquels un diagnostic de dermatite atopique a été formellement posé. Le diagnostic de la dermatite atopique canine est un diagnostic à la fois clinique et d'exclusion. Il est en effet nécessaire d'éliminer les causes parasitaires et une éventuelle allergie alimentaire. La mise en évidence de sensibilisations allergiques (intradermoréaction ou test sérologique) ne permet en aucun cas de réaliser un diagnostic de dermatite atopique. En effet, des animaux sains ou souffrant d'autres dermatoses prurigineuses peuvent être sensibilisés à différents allergènes sans pour autant souffrir de dermatite atopique.
Comment mettre en place une désensibilisation allergique ?
L'instauration d'une désensibilisation requiert la mise en évidence les sensibilisations allergiques. A cet effet, les intradermoréactions et les tests sérologiques sont couramment utilisés. Le choix de la batterie d'allergènes à tester repose d'une part sur les relevés aéropolliniques régionaux et d'autre part sur l'environnement de chaque animal.
Bien qu'aucun consensus n'existe en médecine vétérinaire concernant le nombre d'allergènes à inclure dans le mélange de désensibilisation, il semble préférable de ne pas dépasser le nombre de 10 afin d'éviter un effet de dilution trop important. C'est aussi la raison pour laquelle, on préfère tester les allergènes individuellement que d'utiliser des mélanges de plusieurs allergènes. Si un grand nombre de sensibilisations est observé et que des choix sont nécessaires, il convient d'analyser les possibles réactions croisés entre allergènes ainsi que l'environnement de l'animal.
Enfin, on évite généralement de mélanger les extraits de moisissures (riches en protéases) aux autres allergènes.
Intradermoréactions ou tests sérologiques ?
Concernant les tests sérologiques, il semble exister une grande variabilité entre les laboratoires proposant ce type de tests, certainement du fait de l'absence de standardisation et de la variabilité des seuils de positivité. Ainsi une étude récente menée aux Etats-Unis a montré une concordance des résultats entre différents laboratoires dans seulement 25% des cas !
Remarque: Les tests sérologiques n'ont aucun intérêt dans la mise en évidence des trophallergènes (= allergènes alimentaires) sensibilisants dans le cadre du diagnostic des allergies alimentaires et ne remplacent en aucun cas un régime hypoallergénique ou un régime d'éviction.
Pratiquement, en quoi consistent les intradermoréactions ?
Les intradermoréactions permettent d'évaluer directement la réaction immunitaire cutanée. L'examen consiste à injecter dans le derme différents extraits allergèniques et d'observer ou non l'apparition d'une réaction cutanée locale signe d'une éventuelle sensibilisation. L'animal est tondu sur un flanc. Une sédation légère est parfois nécessaire. La lecture des résultats est effectuée au bout de 20 minutes. La réalisation des intradermoréactions nécessite l'interruption de certains traitements :
- Anti-histaminiques : 7 jours
- Corticoïdes - voie orale : 14 jours
- Corticoïdes - voie topique dont auriculaire : 14 jours
- Corticoïdes retards injectables : minimum 28 jours
- Ciclosporine, oclacitinib, lokivetmab : 0 jour
Quels sont les allergènes les plus fréquemment impliqués ?
La sensibilisation aux acariens de poussière est la plus fréquente. Les sensibilisations aux pollens (arbres, herbacés, graminées) sont observées chez 10 à 25% des chiens allergiques. Une étude menée dans l'Ouest de la France, rapporte une sensibilisation à au moins un allergène dans environ 80% des cas et aux pollens de graminées dans plus de 20% des cas.
Existe-t-il une période idéale pour réaliser des intradermoréactions ?
Non, les intrademoréactions peuvent être réalisées toute l'année même hors période de pollinisation ! En effet, concernant les pollens de graminées, il ne semble pas exister de corrélation entre les manifestation allergiques saisonnières et la sensibilisation aux graminées. Il a d'ailleurs été montré que des grains de pollens sont présents dans les selles de chiens même en période de faible production pollinique. Cela pourrait s'expliquer par un mode de vie urbain (agglomération des grains de pollens par les hydrocarbures) et une grande proximité avec le sol (accumulation des pollens dans la poussière de maison).
Quelles sont les modalités de la désensibilisation ?
En France, les injections sous-cutanées constituent le mode de désensibilisation le plus fréquent. D'autres voies de désensibilisation (sub-linguale) et d'autres modes de sensibilisation existent (rush). En terme d'efficacité et de sécurité d'usage, toutes ces modalités semblent relativement similaires.
Quels résultats peut-on attendre d'une désensibilsation ?
Dans 70% des cas, une nette amélioration est constatée. Celle-ci permet de diminuer les doses d'immunomodulateurs administrées conjointement.
En combien de temps observe-t-on les résultats de la désensibilisation ?
Il existe peu d'information à ce sujet. En général, il convient d'attendre 6 à 9 mois, avant d'observer une réponse. L'apprentissage de la tolérance immunitaire est à l'instar de l'éducation un phénomène long ! Ainsi, les traitements immunomodulateurs doivent être poursuivis en parallèle, jusqu'à ce que les effets de la désensibilisation soient perçus.
Durant combien de temps faut-il réaliser la désensibilisation ?
Aussi longtemps que possible lorsque celle-ci conduit à une amélioration clinique !
Peut-on observer des effets secondaires ?
Les effets secondaire sont relativement rares et limités. Dans seulement 1% des cas, une réaction systémique peut être observée.
Je souhaite faire réaliser des intradermoréactions sur un chien allergique. Comment procéder ?
Vous pouvez m'adresser vos patients pour la réalisation d'intradermoréactions seules (intradermoréactions, interprétation des résultats, prescription de la désensibilisation) ou pour la prise en charge globale de la dermatose allergique. Il est simplement nécessaire de le préciser sur le formulaire (intradermoréactions seules ou prise en charge globale en allergologie).
J'utilise une batterie composée de 40 allergènes individuels (pas de mélanges) adaptés aux relevés aéro-polliniques de la région. Dans l'hypothèse où une sédation est nécessaire, le chien doit être à jeun. Il est nécessaire de stopper le prise de certains anti-prurigineux dans les jours précédents la réalisation de l'examen (cf. ci-dessus).
La gestion de la dermatite atopique est donc multimodale; Elle ne se limite pas à l'administration de traitements immunodulateurs et implique la mise en place d'une désensibilisation allergique !
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